• Français
  • Anglais

Fondateurs, salariés et stagiaires : organiser la cession des droits de propriété intellectuelle

C’est le point de départ de tout audit juridique réalisé par un investisseur potentiel : les droits sur les créations et inventions réalisées par les fondateurs et mandataires sociaux, par les salariés et/ou par les stagiaires (trop souvent oubliés) sont-ils valablement détenus par la société ?

Alors qu’ils sont souvent les premiers « créateurs » pour le compte de la société (selon l’INPI : 90% des inventions brevetées sont le fait de salariés), la réponse n’est malheureusement pas évidente. Contrairement à une idée parfois répandue au sein des jeunes entreprises, la cession des droits des fondateurs et des salariés n’est pas toujours automatique. Au contraire, elle s’organise et doit répondre à des règles parfois contraignantes.

Le point sur la situation.

# 1 – Fondateurs non-salariés : la nécessité d’un acte de cession de droits en toutes circonstances

Les droits de propriété intellectuelle attachés aux créations réalisées par les fondateurs non-salariés ne sont jamais cédés automatiquement à la société.

Par ailleurs, le pacte d’associés ne suffit pas à couvrir valablement la cession des droits des fondateurs à la société, même lorsqu’il contient des stipulations (souvent sommaires) sur ce point.

Vous devez donc organiser le transfert des droits de propriété intellectuelle par la conclusion d’un contrat de cession de droits en bonne et due forme (identifiant les créations/inventions visées et détaillant le cas échéant les droits cédés, les modes d’exploitation couverts par la cession, la durée et la territorialité de la cession de droits) entre la société et chaque fondateur non salarié.

Ce contrat de cession de droits est nécessaire quelle que soit la nature des créations et leur régime de protection : logiciels, inventions brevetables, textes, graphismes, œuvres visuelles en tout genre, etc.

Pour l’établissement de ce type de contrats, deux problématiques principales doivent être traitées :

  • La contrepartie ou la rémunération de la cession de droits

Cette question doit être traitée au cas par cas, en fonction des circonstances. Il est possible de prévoir une rémunération proportionnelle aux recettes d’exploitation des créations, une rémunération forfaitaire, ou encore une cession à titre gratuit. Dans certains cas, il est également possible de prévoir que la cession des droits est consentie en contrepartie des rémunérations perçues au titre du mandat social.

  • La portée de la cession de droits dans le temps

Pour contourner cette difficulté, il est recommandé de poser le principe de la cession dans un contrat initial, et de prévoir (et d’organiser !) la confirmation ou la réitération des cessions de droits de manière régulière (chaque mois, trimestre, semestre ou année, ou encore dans le cadre de tout projet de création significatif : nouvelle version d’un logiciel ou d’une plateforme, changement d’identité visuelle, etc.). La solution est contraignante, mais elle est la seule susceptible de valider pleinement le transfert des droits à la société.

Pour les créations protégées par le droit d’auteur, le Code de la propriété intellectuelle pose un principe de nullité des « cessions globales d’œuvres futures » (L.131-1). En d’autres termes, il n’est pas possible de s’engager à céder par avance à la société toutes les œuvres futures non encore créées, sans autre détail ni limite.

# 2 – Salariés : tous les droits n’appartiennent pas automatiquement à la société

Les droits de propriété intellectuelle attachés aux créations et inventions réalisées par les salariés suivent des régimes juridiques différents en fonction de la nature des créations ou inventions.

Voici les principales règles à connaître :

Les logiciels

Les droits sur les logiciels développés par les salariés dans le cadre de leur fonction ou d’après les instructions de l’employeur appartiennent automatiquement à l’employeur, sauf clause contraire dans le contrat de travail (L.113-9 du Code de la propriété intellectuelle). Attention : la règle ne s’applique qu’aux logiciels à proprement parler (développements informatiques sous forme de code et documentation relative) et non pas à la partie graphique des logiciels (interfaces, etc.), qui est protégée par le droit d’auteur général et non pas par les règles applicables aux logiciels.

Les inventions brevetables

Il faut distinguer selon les 3 types d’inventions suivantes :

  1. Les inventions de mission, qui sont réalisées par le salarié dans l’exécution de son contrat de travail comportant une mission inventive correspondant aux fonctions du salarié (exemple : un ingénieur de recherche) : les droits sur l’invention appartiennent automatiquement à l’employeur, dès sa conception, mais le salarié doit percevoir une rémunération supplémentaire.
  2. Les inventions hors mission « attribuables », autres que les inventions de mission, mais présentant un lien avec l’entreprise car elles entrent dans son domaine d’activité ou qu’elles sont faites grâce aux moyens de l’entreprise (exemple : invention réalisée par un directeur marketing ou financier) : l’invention est la propriété du salarié mais l’employeur peut se faire attribuer sa propriété (ou uniquement sa jouissance par une licence d’exploitation), et doit alors verser au salarié le « juste prix » de cette invention.
  3. Les inventions hors mission « non attribuables » (réalisées en dehors de toute mission et ne présentant aucun lien avec l’entreprise) : l’invention est la propriété du salarié, sans prérogative particulière au profit de l’employeur.

Les droits d’auteur (hors logiciels)

Les droits sur les créations (hors logiciels) protégées par le droit d’auteur ne sont jamais cédés automatiquement à l’employeur. Comme pour les droits des mandataires sociaux non-salariés, le transfert des droits de propriété intellectuelle à la société doit donc être organisé par la conclusion d’un contrat de cession de droits en bonne et due forme ou d’une clause de cession de droits détaillée dans le contrat de travail.
En plus des règles applicables à toute cession de droits d’auteur, cette cession de droits doit répondre aux deux problématiques mentionnées ci-dessus pour les fondateurs : celle de la contrepartie ou de la rémunération du salarié (à traiter au cas par cas), et celle de l’interdiction des cessions globales d’œuvres futures (impliquant de réitérer régulièrement la cession des droits du salarié au profit de la société au fur et à mesure des nouvelles créations).

# 3 – Stagiaires : attention aux conventions de stages !

Les droits de propriété intellectuelle attachés aux créations et inventions réalisées par les stagiaires ne sont jamais cédés automatiquement à la société.

Le transfert des droits de propriété intellectuelle à la société doit donc être organisé par la conclusion d’un contrat de cession de droits en bonne et due forme ou d’une clause de cession de droits détaillée dans la convention de stage, et ce même pour les créations logicielles.

Si une clause de cession de droits est incluse dans la convention de stage, il peut néanmoins être recommandé de faire confirmer cette cession à l’issue du stage par la signature d’un document détaillant les créations effectivement réalisées par le stagiaire au cours de sa mission.

Enfin, la pratique montre que de nombreuses conventions de stage, y compris celles d’écoles d’ingénieurs spécialisées en développement informatique, prévoient que les droits sur les créations réalisées par le stagiaire appartiendront à ce dernier et que la société devra lui attribuer une rémunération spécifique si elle souhaite en acquérir la propriété. Soyez-donc vigilants avant de signer vos conventions de stage !

***

La cession des droits des mandataires sociaux, des salariés et des stagiaires doit faire l’objet d’une attention prioritaire et d’un suivi dans le temps des actifs de la société.

Un dernier conseil : comme toujours en matière de cession de droits de propriété intellectuelle, la règle est the sooner the better. N’attendez pas qu’un conflit survienne entre associés ou avec l’un de vos salariés pour organiser le transfert des droits à la société. Cela peut coûter cher.